Mairie de Sireuil
Mairie de Sireuil

La navigation

La navigation sur la Charente


♦ LE COMMERCE ET LES GABARRES (PAR SIMONE CADERT)
Le fleuve Charente a été la première voie de pénétration vers l’intérieur du pays. Plus au nord la Sèvre Niortaise et la Loire ont joué le même rôle. Vers le sud, la circulation était rendue difficile par la présence des bois et des étangs de la Double. C’est donc la Charente qui a drainé les activités commerciales vers la mer et inversement.

Déjà, pendant l’occupation romaine, le port de Basseau fut le premier port sur la Charente. La navigation avait même précédé l’arrivée des Romains : la pirogue trouvée à Bourg-Charente en témoigne, datée de 2500 ans avant Jésus-Christ.

Utilisée pour le transport et le commerce, la Charente a aussi favorisé l’arrivée des envahisseurs tels les Normands qui, au 9ème siècle au 11ème siècle, ont pillé la région et mis le siège à Angoulême.

Cette navigation a été très active du 11ème siècle au 18ème siècle, à mesure que l’économie ancienne se développait, marquée cependant par un déclin pendant la guerre de Cent Ans.

A partir de la fin du 18ème siècle, elle perdit peu à peu son influence, bousculée par:
1) la construction des routes dans les dernières décennies du 18ème siècle.
2) la construction des lignes de chemin de fer, à partir de la deuxième moitié du 19ème siècle.
3) le développement de la grande industrie qui s’est concentrée dans les bassins houillers, dans les bassins miniers, près des grands ports et des grandes villes, ce qui a entraîné le déclin de nos petites entreprises locales: forges, moulins à papier, etc..

· LES GABARRES
Durant de longues années, Sireuil a vu passer les gabarres entraînées à la descente par le courant. A la remontée, elles étaient tirées soit par des hommes, soit par des animaux: boeufs, mulets et chevaux. Un témoignage familial nous permet de reconstituer le trajet suivi par la gabarre (tout au moins à partir de la construction du pont vers 1844). Naviguant vers
Angoulême, la gabarre qui approchait de Sireuil était tiré par des chevaux, marchand sur la rive gauche, jusqu’au passage du port ou du pont (emplacement du pont actuel). Là, les chevaux et leurs conducteurs traversaient la Charente et empruntaient le chemin de halage situé sur la rive droite, jusqu’au Port-Turcaud. Ils dételaient à nouveau, revenant au passage du pont et, par la rive gauche, rejoignaient la gabarre en face du Port-Turcaud, à l’Ile-sous-
Garde, et la tiraient vers Nersac par la rive gauche.

Le voyage, à la remontée, durait de 15 à 16 jours, jusqu’à 3 semaines à 2 mois, si les eaux étaient basses.
Au passage, la gabarre acquittait une redevance aux seigneurs ou aux religieux comme au Pas-du-Loup à Bassac. Ainsi, on peut lire, sur un acte daté de 1723, «Les redevances dues à Messire Hélie de St Hermine, capitaine commandant des vaisseaux du Roy, demeurant à Rochefort, seigneur de Sireuil, pour rente noble et seigneuriale à cause du port et passage de Sireuil».

· LES MARCHANDISES TRANSPORTÉES
Le sel fut dans les temps anciens, le principal chargement des gabarres qui remontaient des côtes charentaises vers la Saintonge, et l’Angoumois. Puis les marchands de sel, de l’Houmeau alimentaient les marchés du Limousin, du Périgord et d’une partie du Poitou. Et les rouliers et muletiers repartaient vers ces provinces avec le sel qui remplaçait les bois marrains et le blé qu’ils avaient apportés. Le commerce du sel déclina au 19ème siècle. A partir de 1870, on ne transporta plus de sel sur la Charente.
Le vin et les eaux de vie : Il ne semble pas que Sireuil ait utilisé le transport par gabarres pour sa production.
Les cahiers de doléances rédigés en mars 1789, avant la réunion des Etats Généraux, nous révèlent l’état de l’agriculture à Sireuil : maigres récoltes de céréales et de vin. Et même, si on distillait une partie de la récolte, l’eau de vie obtenue ne devait pas surcharger les gabarres.

· LE CHARGEMENT DES GABARRES

1) Jusqu’à la fin du 18ème siècle
Un paysan de Sireuil qui sarclait son blé en bordure de Charente voyait remonter vers l’Houmeau, les lourdes gabarres chargées de sel, de «peille», c’est à dire le chiffon pour les moulins à papier, qu’on achetait jusque dans les provinces avoisinantes, de blé, de farine, de vin, de sucre, d’épices, de beurre d’Irlande contenu dans des barils, de harengs, morues, et sardines salés en barils, de chandelle d’Hollande ou d’Irlande.

Quand elles redescendaient, il aurait pu y découvrir des bois de marine, du bois de chauffage pour les distilleries, du charbon de bois pour les forges, des bois marrains, du papier, du feutre du chanvre, des toiles, du fer, et à partir de la fin du 18ème siècle, les canons fabriqués à la forge de Rancogne et des boulets destinés à armer les vaisseaux de Rochefort.

2) Au 19ème siècle
Ce n’est qu’à partir du premier tiers du 19ème siècle, quand Sireuil s’est industrialisé, que le port a connu une activité importante. Nous distinguerons deux périodes :
1- L’époque de la tréfilerie
2- L’époque de la Forge Martin

a) La tréfilerie
Installée vers 1840, sur une île de la Charente, elle produisait : fils de fer, fers de cercles, clous et pointes de toutes sortes.
Approvisionnée en minerai de fer et en fonte de la région, elle utilisait pour ses feux d’affinage le charbon de bois, les bois de la Double de Dordogne ou de la Double du Sud de Barbezieux transportés par chariots ou par voie navigable. Mais la houille importée d’Angleterre, de Belgique et d’autres régions de France remontait par gabarres jusqu’au port de Sireuil.
Pour nous donner une idée du trafic, ouvrons le rapport de l’ingénieur en chef Marrot.
Durant les cinq premiers mois de 1844, la tréfilerie a utilisé:
a) 283 tonnes de fontes, riblons, ferrailles
b) 179 tonnes de charbon de bois
c) 156 tonnes de houille
Au cours de cette même année 1844, la production:
· De fil de fer s’est élevé à 573 tonnes
· De pointes s’est élevé à 163 tonnes.
acheminée vers la clientèle en partie sur les gabarres.

Notre fleuve Charente n’était pas une belle endormie. François Blanchard, gabarrier aux Pastureaux et son marin ne manquaient pas d’ouvrage.

d) La forge Martin
C’est surtout la Forge qui mettra Sireuil en relation avec ses fournisseurs et clients des grands pays d’Europe et au-delà.
Quand Emile Martin, venu de Fourchambault dans la Nièvre, acheta le site de la tréfilerie en 1852, son intention était de produire des aciers de qualité à des prix compétitifs. Son fils, Pierre Emile Martin, qu’il installa peu à après à Sireuil, après des expérimentations fructueuses, réussit à produire, entre 1863 et 1865 cet acier apprécié mondialement et connu sous le non d’acier Martin.

Déjà les routes se sont développées. Il est facile d’atteindre Angoulême où le chemin de fer nous rapproche de Paris et de Bordeaux depuis 1852 – 1853. En 1867, la gare de Sireuil accueille les premiers voyageurs et les marchandises. Mais la Forge emploie et produit des matières pondéreuses. Et la voie navigable est tout indiquée pour les faire circuler.

Ces matières importées, quelles sont-elles?
- Le coke et la houille, 2500 tonnes par an, acheminés de Liverpool en Angleterre par
Rochefort et la Charente.
- Les ferrailles, riblons, vieux rails achetés dans les ports de Brest, de Rochefort, à la
fonderie de Ruelle, etc… transportés par gabarres.
- Les fontes du Périgord et celles des hauts fourneaux de Solenzara en Corse et de St Louis du Rhône acheminées par voie maritime et fluviale.
- Le minerai de fer de Normandie, du Berry, du Nivernais, mais aussi des Asturies en
Espagne; Celui de Mokta en Algérie et de l’Ile d’Elbe nous parviennent transformés en fonte à St Louis du Rhône, pour la plus grande partie par voie d’eau.

Nous pouvons déjà nous faire une idée de l’importance du trafic du port de Sireuil.

Et les productions de la Forge?
- L’acier est déjà de si bonne qualité que, dès 1863, Sheffield en Angleterre commande 25 tonnes d’acier; l’arsenal de Cherbourg en commande 8 tonnes, l’arsenal de Rochefort, les ateliers d’Indret en Basse-Loire, certaines fonderies de canons également.
- La renommée de l’acier Martin est telle que, dès 1866, sur 100 tonnes d’acier
produites par mois, 25 à 30 tonnes sont exportées.
- A Sireuil, on fabrique des canons de fusil pour la munufacture de Chatellerault. André Nogues, dans sont étude «la fonderie de Ruelle au service de la Royale», note: «le 3 octobre 1870, la fonderie reçoit commande pour éprouver 2 canons d’acier, de Martin de Sireuil».
- Avec le développement des chemins de fer, la Forge produit des rails, des bandages pour les roues des locomotives et des wagons.
Les années qui suivirent la guerre de 1870 furent très prospères. On a peine aujourd’hui à imaginer l’intense activité qui régnait à la Forge et le va-et-vient des nombreuses gabarres qui chargeaient et déchargeaient à l’appontement de Sireuil.
Petit à petit, des raisons économiques ont entraîné le déclin de la Forge et la mise en
liquidation en 1883.

Après la Forge, La fin des Gabarres
La mégisserie créée à la place de la Forge à la fin du 19ème siècle, à laquelle succéda la Tannerie dans les premières années du 20ème siècle n’utilisèrent guère le transport fluvial.
Le réseau routier sur lequel circuleront, après la guerre de 1914, les premiers camions surplus américains, le réseau ferré qui irriguait tout le département, la région et la France enlèveront le fret aux gabarres.

Les carrières de pierre expédiaient leurs blocs de pierre par les gares de Sireuil et de Nersac.
Le Port fluvial de Sireuil s’endormit irrémédiablement. Et quand en 1926, le gouvernement décida que la Charente était rayée des voies navigables, il en était fini des jolies gabarres qui animaient les eaux calmes de notre rivière.

Documentation
· H. Enjalbert: Etudes locales 1938-1939
· Bruno Sépulchre: Les gabarriers de Charente
· Quénot: Statistique du département de la Charente 1818
· Gabriel Delage: Les moulins à papier en Angoumois
· Henri Le Diraison et Yvette Renaud: Chemin de fer de Charente
· André Nogues: La fonderie de Ruelle au temps de la Royale
· Annie Laurant: Des fers de Loire à l’acier Martin – Fonderies et aciéries
tome 2
· Archives départementales de la Charente: Série S.
· Cahiers de doléances de Sireuil 1789
· Recensement de Sireuil 1841
Par Simone CADERT